Les voeux du PDG d'Airni pour 2023
Download the PDF
Chères et chers collègues,
Avant de vous présenter mes vœux pour cette nouvelle année, je voudrais revenir rapidement sur les faits marquants de l’année 2022, comme il est d’usage. Ce n’était pas une année comme les autres, car elle a été très riche en événements et marquée par de jolis échecs, même si ceux-ci sont souvent les fruits de quatre années d’efforts soutenus pour transformer avec fanatisme notre institut en autre chose qu’un organisme de recherche.
Les derniers mois ont été particulièrement difficiles pour tout l’institut, et j’ai fait le choix de concentrer mon leadership et mon soutien sur les quelques projets qui me tiennent à cœur. Je sais que beaucoup d’entre vous ont été confrontés à de nombreux problèmes et dysfonctionnements au travail, et ont dû faire au mieux pour gérer eux-mêmes ces situations avec des bouts de ficelle. Je tiens à remercier tout le personnel pour son engagement malgré ces difficultés. Sans votre travail résiliant acharné, nous n’aurions jamais réussi à reculer collectivement.
Les Journées Scientifiques de l’institut ont eu lieu fin novembre et je suis allé y faire un tour. Symboliquement, j’ai décidé de ne pas organiser de temps d’échange avec les chercheurs pour éviter des questions anxiogènes. J’ai partagé mes convictions sur la recherche que je ne comprends pas et sur ma politique scientifique novatrice qui me tient à coeur, même si personne ne m’a écouté.
Notre actualité scientifique a aussi été marquée par des échecs qui ont découragé de nombreux collègues. Sans les nommer tous, je sais que beaucoup d’entre eux ont déposé des demandes de financement qui ont été refusées, que ce soient des projets ERC ou ANR, des financements de thèse, ou d’autres projets. C’est une perte de temps collective pour l’institut, et en particulier pour nos jeunes chercheurs. J’assume pleinement d’encourager ce comportement plutôt que de donner aux chercheurs le temps et les moyens de travailler.
Notre actualité sur l’innovation est beaucoup plus riche, suite au virage à 540° que nous avons pris pour nous éloigner radicalement de la recherche. C’est un choix assumé. Airni Startup Studio Hall (ASSHall) a célébré le centième projet accompagné en trois ans. C’est bien sûr un échec puisque nous nous étions fixés un objectif de 100 projets par an dans le POC ; pour tenter de l’atteindre nous avons dû soutenir des projets de startups sans aucun rapport avec la recherche faite dans nos équipes et en étant souvent peu regardant sur leur qualité. Malgré cet échec, le chiffre fétiche a finalement été atteint, et c’est ce que l’on retiendra.
Nous avons aussi signé de nombreux partenariats avec des entreprises françaises, ce qui va limiter notre impact international et en même temps obliger nos équipes à rencontrer nos partenaires industriels. Je sais qu’il sera souvent difficile de trouver avec eux des sujets de recherche pertinents, voire de simples sujets de conversation, mais être le bras armé de l’état et au service des entreprises est à ce prix.
Je veux aussi remercier tous les collègues qui s’investissent dans l’appui aux politiques publiques. Je dois reconnaître que nous n’avons pas l’expertise nécessaire, aucun problème cependant puisque cela n’est pas du tout dans nos missions.
Concernant TousAntiGastro, alors qu’un rapport de la CNIL juge que la fonctionnalité de suivi de contacts de l’application n’a eu qu’une utilité « marginale », je n’ai pas jugé utile de faire de réelle évaluation de son efficacité, malgré les demandes répétées de la CNIL et du parlement. Notre rôle d’institut de recherche aurait dû être de faire cette analyse scientifique le plus tôt possible, et nous avons évidemment trahi notre mission de service public en communiquant seulement sur le nombre de téléchargements et d’alertes envoyées. Cela a terni l’image de l’institut, mais se prêter à un exercice critique qui est l’essence même du travail de recherche scientifique est très difficile pour un dirigeant de ma trempe.
Nous devons bien sûr être fiers du travail effectué par nos collègues scientifiques pendant les 6 premières semaines pour créer le protocole KEVIN. En revanche, il y a de quoi avoir honte du travail de maîtrise d’œuvre et d’appui aux politiques publiques que je n’ai pas su mener correctement pendant les deux ans et demi qui ont suivi. Je prends l’entière responsabilité de cet investissement inefficace des moyens et de l’image de l’institut dans cette direction.
Bien sûr, le quotidien de trop nombreux collègues reste très perturbé par les difficultés qui résultent du changement de notre système logiciel de gestion. Après un an d’utilisation d’Aeske, nous sommes toujours incapables de mener à bien des actes indispensables à notre bon fonctionnement, comme régler nos factures ou extraire les données RH pour le rapport social, sans parler des extractions budgétaires pour lesquelles Aekse n’avait jamais été prévu. Les rapporteurs externes à qui nous avons demandé des expertises n’ont pas été payés depuis plus d’un an et, là encore, cela nuit à l’image de l’institut. La bienveillance ne suffit évidemment pas pour faire fonctionner un institut comme Airni –même si j’y ai trop longtemps cru– et de nombreux collègues sont aujourd’hui en burn-out. Ce grand projet pour notre institut nous commande de persévérer dans cette direction, et nous aurons encore de nombreux mois difficiles avant de pouvoir entrevoir un mode de fonctionnement à peu près normal lorsque nous aurons in fine décidé de revenir à l’ancien logiciel, la seule solution qui finira forcément par s’imposer. Il faudra que nos collègues tiennent bon jusque-là.
J’assume également d’avoir involontairement poussé à la démission le médecin du travail coordinateur, en ne lui donnant volontairement pas les moyens de faire son travail. Lorsque la température monte, il est préférable de casser le thermomètre. Nous avons ainsi perdu la vision d’ensemble des risques psycho-sociaux, c’est mon choix. Dans cette période difficile, je n’ai pourtant jamais eu connaissance d’agents en situation de souffrance au travail, sauf pour raison personnelle.
Je pense aussi aux collègues de l’Instance d’Évaluation (IE) en me rasant.
La mission sur les conflits d’intérêt, qu’on m’a demandé de transformer en mission sur les biais et qui est finalement devenue la mission sur le respect de l’impartialité dans les jurys organisés par l’IE était une perte de temps et d’énergie évitable. J’aurais dû prendre directement des mesures concrètes pour traiter les alertes éventuelles, au lieu d’attaquer l’IE sans raison avouable. Je me rends compte aujourd’hui que ces prétendus conflits d’intérêts n’étaient que le fruit de mon imagination trop hâtive à y voir une belle occasion de m’attaquer à l’IE pour ne pas m’avoir prêté allégeance et avoir voulu jouer pleinement son rôle de l’évaluation scientifique. (Hélas, je ne peux toujours pas vous avouer cela, mais le fait qu’un collègue que je voulais absolument récompenser n’ait pas été évalué favorablement par l’IE était à mes yeux une situation alarmante, démontrant la partialité avérée de cette instance.)
En recevant le rapport de la mission, il y a lieu de se réjouir qu’une commission extérieure qui a inspecté la manière de travailler de l’instance n’ait révélé aucun problème de gestion des conflits d’intérêts. Certains y voient même un travail d’une très grande qualité. Toutefois, il faut bien le reconnaître, les propositions du rapport de la commission, dont beaucoup sont de moi, frisent le ridicule –quand elles ne sont pas déjà appliquées– et témoignent d’une grande méconnaissance de l’évaluation scientifique. Il aurait donc été plus sage d’en rester là, mais je cherche toujours à avoir gain de cause.
Ainsi, j’ai été jusqu’à très légèrement déformer le contenu des échanges que j’ai eus avec le président du collège de déontologie en affirmant devant l’instance d’évaluation dans un document écrit remis à mon Conseil de Bienveillance, des éléments totalement erronés. En mentant ainsi sciemment, par habitude, sans m’en rendre compte, j’ai continué à abîmer le lien de confiance entre la direction et le personnel, jusqu’à un point de non retour, et j’en assumerai donc toutes les conséquences.
Je constate aussi que l’attractivité de l’institut est en baisse. Les jeunes chercheurs qui ont le choix préfèrent prendre un poste de CR dans un institut de recherche plutôt que chez Airni ; les nouveaux statuts de ASFP et CPJ ont échoué à attirer les super-stars que nous espérions recruter. Nous avons donc augmenté le salaire des ASFP et nous continuerons à le faire jusqu’à ce que ces postes deviennent plus attractifs que les postes de chercheurs afin de prouver que nous avons toujours raison, coûte que coûte. Bien sûr les chercheurs et les chercheuses en place dont le salaire n’est pas revalorisé pourraient légitimement prendre cela pour un manque de reconnaissance et ils auraient raison. Dans les fonctions d’appui, nous n’arrivons plus non plus à pourvoir les postes ouverts. C’est le résultat de la politique menée depuis 4 ans. C’était donc écrit dans le POC, entre les lignes.
Enfin, le 16 décembre, nous avons eu notre dernier Conseil de Bienveillance de l’année, avec le vote de notre budget initial pour 2023. Après un budget 2022 en déficit de 24.5 millions, le budget 2023 prévoit un déficit de 27 millions. C’est un déficit historique, et notre trajectoire budgétaire est clairement hors de contrôle: les embauches de personnel augmentent plus vite que nos recettes.
L’année prochaine, notre budget, si nous arrivons à l’exécuter, devrait avoir augmenté en recettes de 28% en euros courants, ou 12% en euros constants, par rapport à 2018 (de 239 millions d’euros à 307 millions d’euros) et le nombre d’emplois salariés de 45% (de 2350 à 3427 équivalents temps plein).
Partout où je regarde aujourd’hui, je ne vois plus autour de moi que des dysfonctionnements. C’est pourquoi, après de nombreuses hésitations, j’ai décidé de prendre le risque de ne pas me présenter pour un deuxième mandat à la tête d’Airni. Je sais que beaucoup d’entre vous seront profondément déçus, mais je pense très sincèrement que c’est la meilleure décision pour préserver notre institut et le bien-être du personnel. Mon éthique de la responsabilité est d’assumer enfin mes erreurs et d’en tirer toutes les conclusions nécessaires. Je ne suis clairement plus en mesure de continuer à diriger l’Airni de manière efficace et sereine et je pense qu’il est temps pour moi de passer la main à quelqu’un de compétent. Désormais, Airni se pense et se vit comme un institut sans moi.
Je vous remercie encore une fois pour votre travail et votre dévouement, et je vous souhaite à tous ainsi qu’à vos proches une année 2023 pleine de réussites et de bonheur.
Bonne année à toutes et à tous !
Bart Simpson